Lettre à ICSC membres

Aux membres de la Coalition internationale des sites de conscience,

Ce que nous constatons actuellement à Gaza constitue un échec moral et une catastrophe humanitaire qui plongera le monde dans une polarisation plus profonde ainsi que dans de nouveaux cycles de violence.

En un peu plus de six semaines, plus de 12 000 civils ont été tués à Gaza, dont 5 000 enfants. Des milliers de personnes sont gravement blessées et ne peuvent pas recevoir les soins médicaux nécessaires, pendant que de nombreuses autres restent piégées sous les décombres en attendant les secours. Des patients, y compris des nourrissons prématurés, perdent la vie dans des établissements de santé où il n’est plus possible de fournir des soins médicaux élémentaires en raison du blocus d’Israël et des attaques contre les établissements de santé. Et des milliers de familles attendent désespérément des nouvelles de leurs proches disparus, enlevés, ou décédés.

De plus, environ 1 200 Israéliennes et Israéliens et plus de 200 Palestiniennes et Palestiniens en Cisjordanie ont été tués.

Plus d’un mois après cette catastrophe humanitaire, le monde a échoué à mettre fin à ce qui équivaut à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, selon les Nations Unies et d’importantes organisations internationales de défense des droits humains.  Néanmoins, de nombreuses personnes détournent le regard, voire soutiennent activement l’escalade de la violence d’Israël.

La normalisation des conflits et de la mort, l’absence d’empathie, et la priorité accordée à certaines vies par rapport à d’autres sont des échecs de notre humanité commune et de notre engagement envers le principe du « Plus jamais ça ».

Depuis sa création en 1999, la Coalition internationale des Sites de Conscience (ICSC) a tiré des enseignements essentiels de sa gestion des conflits dans divers contextes à travers le monde. Les plus pertinents dans ce contexte sont les suivants :

  1. La violence ne mène jamais à la paix et à la sécurité.

La violence, qu’elle soit structurelle ou active, ne mène jamais à la paix et à la sécurité, ni ne les rétablit. La violence ne fait qu’engendrer plus de violence, réduit l’empathie et la compassion envers autrui, et empêche les parties en conflit de s’engager dans un dialogue.

Les attaques répétées d’Israël contre la population civile de Gaza au nom de la légitime défense sont non seulement illégales, mais contribuent également à l’instabilité mondiale et alimentent de nouveaux cycles de violence. Cela est déjà manifeste dans la recrudescence des actes anti-arabes, islamophobes et antisémites à travers le monde. 

La Coalition internationale des Sites de Conscience demande :

  • Un cessez-le-feu total et immédiat ;
  • La fourniture d’une aide humanitaire vitale pour le peuple de Gaza ;
  • La libération de toutes les Palestiniennes et Palestiniens détenus arbitrairement dans les prisons israéliennes ;
  • La libération de toutes les Israéliennes et Israéliens retenus en otage par le Hamas ; et
  • Le droit de toutes les femmes et tous les hommes, tant Palestiniens qu’Israéliens, de jouir de droits égaux.
  1. La recherche de la vérité et de la justice est le seul moyen de mettre fin aux cycles répétitifs de violence.

Au cours de conflits prolongés, des mythes, des stéréotypes, des récits manipulés de victimisation et de victoire, ainsi que des silences se transmettent de génération en génération. Cette déformation de la vérité contribue aux cycles continus de violence et de vengeance. La révélation de la vérité sur le passé, par le biais de mécanismes judiciaires et extra-judiciaires, permet à une société de se confronter à son passé et de prévenir le négationnisme et le révisionnisme. Cela permet également de comprendre et de faire émerger différentes formes de vérité – la vérité factuelle, fondée sur des documents vérifiés et des preuves ; la vérité sociale, centrée sur un processus de dialogue entre des individus et des groupes variés ; et la vérité réparatrice, centrée sur les victimes et basée sur le principe qu’une société juste et résiliente nécessite la reconnaissance de la souffrance des victimes et de leur droit à la dignité, ainsi que leur droit à vivre ensemble. Une société post-conflit doit être reconstruite sur la reconnaissance des droits des victimes à la vérité et à la justice.

La recherche de la vérité et de la justice pour tous les crimes perpétrés avant et pendant les dernières hostilités, y compris les causes profondes, est le seul moyen de garantir la sécurité et la paix tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens.

L’ICSC plaide en faveur de :

  • L’analyse des racines des cycles actuels de violence et d’atrocités, y compris en mettant fin au blocus de Gaza par Israël, qui dure depuis 16 ans, à l’occupation illégale et continue ainsi qu’aux pratiques d’apartheid ;
  • La poursuite des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par toutes les parties, tant avant que pendant les récentes hostilités ;
  • La réaffirmation de l’engagement indéfectible de la communauté internationale envers les principes des droits humains et du droit humanitaire international dans tous les contextes ; et
  • Le travail en collaboration pour rejeter une approche à double standard envers l’application des normes juridiques internationales et des droits humains.

  1. Il est essentiel de donner la priorité et de placer au cœur de nos efforts la guérison des traumatismes.

Dans les conflits, notamment lorsque les individus ont été exposés à une violence extrême et à l’injustice, la détresse mentale a des effets durables sur les survivantes et les survivants et les générations futures. Lorsque les traumatismes restent sans réponse et que les victimes ne reçoivent pas les outils et le soutien nécessaires pour guérir, les rancœurs, la haine et la violence se perpétuent de génération en génération.

Dans les contextes israélien et palestinien, les héritages du génocide, du déplacement forcé, du colonialisme de peuplement, de la guerre et de la discrimination structurelle ont engendré un traumatisme transgénérationnel qui a profondément divisé les populations. Le chemin vers un avenir pacifique pour toutes les femmes et tous les hommes, tant Palestiniens qu’Israéliens, nécessitera une confrontation avec le passé. La réconciliation ne peut survenir que lorsqu’il y a de la place pour l’établissement de la vérité, la justice et la guérison.

L’ICSC soutient :

  • La mise en œuvre d’une approche sensible aux traumatismes face à la crise actuelle ;
  • La fourniture d’outils de soutien psychosocial durable aux victimes et aux survivantes et survivants, tout en reconnaissant que le processus de guérison prend du temps, parfois des décennies ; et
  • Le réajustement à long terme des mécanismes de guérison des traumatismes, qui impliquera un engagement à fournir des ressources et des moyens à toutes les femmes et tous les hommes, tant Palestiniens qu’Israéliens, afin qu’ils puissent partager leurs expériences de violations et d’injustices passées, ainsi que leurs aspirations pour la paix, la justice et la réconciliation. 

  1. Les récits simplistes et unidimensionnels doivent être remis en question.

Les récits peuvent jouer un rôle crucial dans la promotion de la paix, mais également dans l’alimentation de la violence et des conflits. Les récits simplistes et auto-renforçants qui favorisent la légitimité d’un groupe et ignorent les vécus des autres peuvent rapidement être utilisés pour justifier la division, la déshumanisation et la violence.

Dans le cadre du conflit israélo-palestinien, les médias grand public mondiaux sont responsables de l’étouffement des voix palestiniennes et de la propagation de récits nuisibles alimentant la polarisation et l’extrémisme croissants. Dans les sociétés où « l’autre » est déshumanisé, la capacité de communiquer entre les individus – ce qui est essentiel pour favoriser la guérison et la réconciliation – est compromise.

L’ICSC soutient :

  • La création de nouvelles narrations inclusives qui passent d’une narration unidimensionnelle et simpliste à des narrations plurielles et multiformes afin de construire des sociétés pacifiques et justes ;
  • La mise en place de plateformes permettant aux victimes et aux survivants et survivantes de partager leurs histoires, leurs expériences du conflit et leurs espoirs et leurs visions de la paix ;
  • La valorisation de médias éthiques condamnant la stigmatisation et la déshumanisation des populations civiles palestinienne et israélienne, qui offrent une couverture impartiale, factuelle et équilibrée ; qui créent des espaces pour les voix opprimées et en augmentent la portée, et qui encouragent l’empathie pour toutes les victimes en proposant des espaces d’apprentissage et de débat ; et
  • Le soutien aux journalistes qui contribuent aux actions de prévention des atrocités en combattant la désinformation par des reportages factuels et objectifs, et en partageant des récits qui favorisent l’empathie, la compréhension et la cohésion sociale plutôt que la haine et la peur.

  1. Une société civile activement critique est un rempart contre toutes les formes d’oppression.

De tout temps, une société civile activement impliquée et critique s’est avérée être le meilleur bouclier contre toutes les formes d’oppression. Les acteurs de la société civile ne se contentent pas d’être des défenseurs publics, mais ils jouent également un rôle central dans le renforcement des capacités et l’information des communautés locales sur les mesures qu’elles peuvent prendre pour s’engager dans une transformation positive ; en favorisant le dialogue entre les personnes des différents camps en conflit afin de commencer à changer les récits clivants profondément enracinés ; en mobilisant en faveur de la paix et de la justice sociale ; et en demandant des comptes aux États. Cependant, il existe aussi une réalité d’apathie sociale où les personnes se désengagent trop souvent, particulièrement lorsqu’elles estiment qu’elles ne sont pas directement touchées par des systèmes injustes.

Dans le contexte du conflit israélo-palestinien, de nombreux acteurs de la société civile se sentent paralysés et impuissants à s’exprimer – que ce soit par peur de nuire à leur communauté ou par crainte d’exprimer leur opinion sur un conflit qu’ils considèrent comme trop complexe. 

Mais l’histoire est complexe. Les récits sont multiples et les traumatismes transmis aux nouvelles générations sont profonds. Lorsque la douleur, la peur et la colère obscurcissent notre vision, les principes des droits humains et le droit international doivent être notre boussole éthique.

En réalité, une grande partie de la société civile se trouve réduite au silence par la crainte de représailles, notamment en ce qui concerne les répercussions sur leur carrière et la cessation des financements. Les attaques contre la liberté d’expression et l’instrumentalisation de l’antisémitisme pour museler la société civile empruntent un chemin dangereux. À cet égard, bien que l’antisémitisme – défini comme l’hostilité envers ou la discrimination contre les personnes juives en tant que groupe culturel, racial ou ethnique – doive toujours être condamné, les critiques des violations du droit international par le gouvernement israélien et de son soutien aux droits égaux des Palestiniens ne sont pas intrinsèquement antisémites.  Personne ne devrait être discriminé pour avoir pris la parole sur ces questions.

Une société civile active, libre d’exprimer une diversité de points de vue et de s’opposer à l’injustice, constitue un rempart contre la violence et l’intolérance, et doit être défendue à tout prix. En tenant les gouvernements et les décideurs et décideuses politiques responsables et en dénonçant leurs lacunes, la société civile joue un rôle crucial dans la promotion de la vérité et de la justice. Sans une société civile engagée, la paix n’est pas possible.

L’ICSC soutient :

  • Une société civile empathique et solidaire de toutes les victimes touchées par les conflits ;
  • Une société civile engagée, habilitée à défendre les principes des droits humains et du droit international.
  • Une société civile qui condamne toute forme de haine, de violence ou de discrimination, qu’elle soit antisémite, islamophobe ou anti-arabe.

Quel est notre rôle en tant que Sites de Conscience ?

Enracinés dans leurs communautés, les Sites de Conscience ont une responsabilité importante dans la promotion de la compassion et du dialogue. En tant qu’institutions vouées à valoriser le pouvoir de la mémoire pour les droits humains et la justice sociale, elles peuvent orienter les communautés à s’éloigner de l’apathie et de la peur, en créant des espaces sécurisés qui encouragent la réflexion critique et le renforcement social.

En s’appuyant sur les leçons du passé pour mettre en lumière et aborder les violations des droits humains actuelles, les Sites de Conscience se transforment en amplificateurs uniques des combats humains pour la paix et la justice ; ils deviennent des réservoirs de nouvelles histoires et narrations qui favorisent la pluralité et la participation ; et se positionnent en tant que défenseurs acharnés du respect des droits humains à l’échelle mondiale.

L’équipe de la Coalition Internationale des Sites de Conscience est continuellement inspiré par ses membres, qui ont opté pour le chemin ardu – un chemin qui ne cède pas devant le passé par une peur révérencieuse, mais qui l’affronte avec transparence et bravoure pour bâtir des avenirs plus pacifiques et justes pour toutes et tous.

En tant que coalition internationale, nous sommes dans une position unique pour exploiter notre pouvoir collectif et avoir un impact. Chaque site membre peut avoir des capacités différentes et nécessiter des outils adaptés pour agir, mais la Coalition Internationale des Sites de Conscience reste à leurs côtés alors que nous nous engageons tous à :

  1. Arrêter la violence maintenant et fournir une aide humanitaire aux Palestiniens ;
  2. Favoriser l’empathie et compassion en soutenant et en partageant des récits plus inclusifs ;
  3. Fournir des programmes qui favorisent la guérison des femmes et des hommes des différentes communautés touchés par le conflit actuel ; et
  4. Créer des espaces sécurisés pour un dialogue honnête et respectueux qui élève notre humanité commune.  

Nous sommes, toutes et tous, plus forts et meilleurs ensemble. Comme toujours, nous accueillons avec plaisir vos réflexions, les enseignements tirés et les questions. Vous pouvez nous contacter à coalition@sitesofconscience.org ou via la page de notre équipe. 

En solidarité,

La Coalition internationale des Sites de Conscience