Revisiter le Rwanda

Godefroid Sindayigaya, directeur des études sur la paix et du leadership de FVM, jouant un tambour africain traditionnel.

Créé en octobre 2017 par des réfugiés burundais vivant au Rwanda, Site of Conscience Forum for Vigilant Memory (FVM) travaille à éduquer les gens sur le génocide, à aider les survivants et les victimes de ce crime contre l’humanité et à enrayer la propagation de l’idéologie génocidaire au Rwanda. Au lendemain de l’attaque du Capitole américain en janvier 2021, la Coalition internationale des sites de conscience s’est entretenue avec Godefroid Sindayigaya, directeur des études de paix et du leadership de FVM, sur l’approche du Rwanda en matière de responsabilité et de guérison, et ses réflexions sur les prochaines étapes américaines. devrait être.

 

En 1994, la division et la polarisation ont atteint un sommet inimaginable au Rwanda lorsque 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été assassinés en l’espace de 100 jours. Au Forum pour la Mémoire Vigilante (FMV), vous travaillez avec les communautés pour mieux comprendre et stopper la propagation d’une telle idéologie génocidaire. Ce qui s’est passé en 1994 ne s’est pas produit en un jour. Pouvez-vous nous parler de comment cette idéologie s’est enracinée au fil des années?

Jusqu’au début du 20e siècle, l’identité ethnique n’était généralement pas une caractéristique principale ou déterminante des Rwandais. Malheureusement, la colonisation a changé cela. Dans le cas du Rwanda, les colonisateurs Allemands puis Belges appliquaient la politique de «diviser pour régner». En 1931, par exemple, le gouvernement belge a introduit la carte d’identité nationale qui désignait chaque Rwandais comme étant Hutu, Tutsi ou Twa. Au fil du temps, l’unité sociale s’est affaiblie et l’idée s’est imposée que les Hutus, majoritaires, étaient les vrais Rwandais, tandis que les Tutsi, minoritaires, étaient essentiellement des étrangers qui sont venus du nord-est de l’Afrique. De 1959 à 1962 – dans une sorte de précurseur du génocide de 1994 – plus de 300 000 Tutsis ont été contraints de fuir la violence hutue et de se réinstaller dans les pays voisins comme l’Ouganda, le Burundi, la Tanzanie et le Congo. Dans les décennies qui ont suivi, beaucoup ont cherché à retourner au Rwanda, mais le gouvernement rwandais leur disait que «le verre était déjà plein». Le gouvernement a également alimenté l’idéologie génocidaire pendant cette période, qualifiant les Tutsis de «cafards» et affirmant que l’extermination était la seule solution. Quand, en 1990, un parti dirigé par des Tutsi, le Front patriotique rwandais (FPR), mena une lutte contre le gouvernement, les tensions ont atteint un point de rupture car en 1994, les Hutus extrémistes ont exécuté le génocide historique de 800000 Tutsis et Hutus modérés. C’est ainsi que le FPR, sous la direction du président Paul Kagame avança depuis le Nord du Pays, prit le contrôle de la capitale Kigali et arrêta le génocide, mais une perte incalculable de vie humaine avait eu lieu.

Les dirigeants autoritaires utilisent souvent la peur et le mensonge pour influencer les gens, comment les Sites de Conscience et la Société Civile peuvent-ils plus généralement promouvoir les droits individuels et le respect des droits de l’homme, particulièrement dans les contexts répressifs?

Premièrement, les gens doivent connaitre leurs droits, en particulier le droit à la liberté d’expression et le droit de vote car tant de choses en découlent. En Afrique, beaucoup de gens ne savent pas qu’exprimer son opinion est un droit de l’homme. Sans surprise, le taux d’analphabétisme en Afrique est le plus élevé du monde. Ainsi les dirigeants autoritaires utilisent cette situation pour maintenir leur pouvoir. En éduquant les gens sur leurs droits et l’importance du vote, ils sauront que transformer leur pays est en leur pouvoir et sauront que dénoncer les violations des droits de l’homme et agir pour y remédier sont  également dans leurs droits. Des mesures spéciales doivent être prises pour encourager l’autonomisation des femmes parce qu’elles ont été laissées pour compte dans de nombreux contextes. Cependant, le rôle de la femme est primordial dans la société africaine. Beaucoup ont déjà démontré leurs compétences en leadership dans leur communauté et ont simplement besoin d’encouragements pour rejoindre des partis politiques – même les diriger – et influencer les hommes dans leur vie. Dans la maison de chaque autocrate, il y a une femme!

Les sites de conscience peuvent également travailler pour diffuser ces informations dans les communautés et rassembler les gens afin qu’ils ne se sentent pas si seuls dans leur activisme. L’Union fait la Force. Les Sites de Conscience et d’autres organisations de défense des droits humains peuvent également jouer un rôle de premier plan dans l’enregistrement des violations des droits humains. Il y a eu de nombreuses violations des droits de l’homme qui ont longtemps été gardées secrètes en Afrique, comme ailleurs. Cela a abouti à une culture d’impunité dans de nombreux pays. Documenter et partager des informations sur les abus – en particulier lorsqu’ils sont documentes par des militants et des journalistes locaux – est un des moyens de riposte. Les sites de conscience peuvent également aider à former la police, l’armée et les fonctionnaires sur le respect des droits de l’homme et sur la manière dont ils doivent rendre compte à la population.

 

Le Rwanda a parcouru un long chemin dans la guérison des divisions entre Tutsis et Hutus. Pouvez-vous nous expliquer comment cela s’est produit et ce qui doit encore être amélioré? Quel est le rôle de la responsabilité dans ces processus? Comment un pays guérit-il au niveau personnel et institutionnel?

Une image d’un tribunal Gacaca au Rwanda.

La peur de la vengeance et de la division supplémentaire était une préoccupation majeure juste après le génocide, mais heureusement, des mesures importantes ont été prises pour favoriser la guérison et la réconciliation. Alors que les auteurs de génocide étaient jugés par le Tribunal Pénal International en Tanzanie, le gouvernement a mis en place un système judiciaire communautaire appelé Gacaca pour aider les Rwandais ordinaires à se rétablir. Dans de nombreux cas, les gens ordinaires qui ont commis un génocide ont été encouragés à reconnaître leurs torts et à demander pardon. Des villages de la paix ont été établis où les deux groupes ethniques vivaient côte à côte. Des programmes de dialogue entre Hutus et Tutsis ont été créés. Ces programmes ont contribué à alimenter une conversation nationale sur l’importance de l’amour et du pardon, chose qui est compliquée, mais qui finalement, à mon avis, est nécessaire à la guérison et à la réconciliation. Il y a encore du travail à faire, bien sûr. Il y a encore des réfugiés qui ont besoin d’être sensibiliser et encourager à rentrer pour qu’une paix durable s’installe. Le fait de rendre compte après le génocide en général, cependant, a été d’une importance capitale. A leur meilleur niveau, les mécanismes de responsabilisation aident les dirigeants à écouter les gens, à comprendre leurs besoins, et à inspirer la société à travailler ensemble pour le bien commun pour les générations actuelles et futures.

 

Quels conseils donneriez-vous à Sites de Conscience aux Etats-Unis pour surmonter le climat de division et de polarisation des quatre dernières années?

Bien que je ne sois pas un expert de la culture américaine, d’après ce que je lis, entends et vois dans les medias, je pense que les Sites de Conscience pourraient être bénéfiques en initiant et en promouvant le dialogue social entre Américains à différents niveaux et contextes. Ce serait résoudre le problème même auquel le pays est confronté aujourd’hui: la division. Qu’est-ce qui nous divise? Qu’est-ce qui pourraient nous unir en tant qu’Américains? De quelles mesures de responsabilité avons-nous besoin pour arriver à un endroit où nous pouvons recommencer à ressentir de l’amour les uns pour les autres et à reconnaître notre destin commun? Je pense que les Américains de tous types – Démocrates, Républicains, Blancs, Noirs, Indiens – sont un seul peuple dans un même pays. Donc les amener à parler de leurs valeurs communes et de leurs points de fierté partagés serait un bon début.